Proposition 54K1966

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Projet de loi portant des modifications diverses au Code d'instruction criminelle et au Code pénal, en vue d'améliorer les méthodes particulières de recherche et certaines mesures d'enquête concernant Internet, les communications électroniques et les télécommunications et créant une banque de données des empreintes vocales.

General information

Submitted by
MR Swedish coalition
Submission date
July 8, 2016
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Status
Adopted
Requirement
Simple
Subjects
database data processing organised crime judicial inquiry information technology Internet criminal procedure telecommunications protection of communications terrorism

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CD&V Open Vld N-VA LDD MR PP VB
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Groen Ecolo LE PS | SP PVDA | PTB
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Discussion

Dec. 21, 2016 | Plenary session (Chamber of representatives)

Full source


President Siegfried Bracke

De heer Gautier Calomne en mevrouw Goedele Uyttersprot, rapporteurs, verwijzen naar het schriftelijk verslag.


Özlem Özen PS | SP

Monsieur le président, monsieur le ministre, les méthodes particulières de recherche sont des mesures qui, par définition, portent atteinte aux droits fondamentaux des citoyens. Ce texte a pour objectif de moderniser notre législation pour qu'elle soit adaptée aux évolutions technologiques, puisqu'il est nécessaire de perfectionner notre arsenal législatif afin de permettre aux enquêteurs de disposer des outils légaux pour accomplir leurs missions.

Certes, l'exercice est difficile, voire quelques fois périlleux, compte tenu du nécessaire et fragile équilibre à trouver entre les besoins en matière de sécurité publique et la préservation de nos droits et libertés fondamentaux, comme le droit à la vie privée et les droits de la défense. La question est à la fois simple et d'une importance cruciale. Votre initiative modernise-t-elle les outils d'investigation sans mettre en péril les droits et libertés des citoyens?

Nous avons eu l'occasion d'entendre la Ligue des droits de l'homme et les ordres des barreaux dans le cadre des auditions. Tous nous ont mis en garde. Certains n'ont pas mâché leurs mots, parlant d'État policier vers lequel nous risquons de nous diriger si des mécanismes de sanction et de protection n'étaient pas organisés.

Je rappelle qu'à l'occasion de la journée des droits de l'homme, certaines personnalités ont fait part de leurs craintes à propos de certains projets en matière de lutte contre le terrorisme. Ne tombons pas dans le piège qui nous est tendu par les ennemis de la démocratie en légiférant sous le coup de l'émotion!

Monsieur le ministre, que les choses soient claires, j'entends, comme vous, lutter contre la criminalité et le terrorisme mais contrairement à vous, je ne suis pas prête à sacrifier nos libertés individuelles. Je ne suis pas prête à soutenir un texte sans aucun garde-fou, un texte qui permet d'augmenter le délai d'observation à trois mois et qui donne la possibilité aux forces de l'ordre de pénétrer au domicile d'un citoyen à son insu et d'y prélever des objets.

Je ne suis pas prête non plus à soutenir un texte qui instaure un régime extrêmement souple en matière d'infiltration sur internet, d'autant plus que le contrôle serait limité, sous prétexte qu'il est beaucoup trop lourd.

Je ne suis pas prête à accorder la possibilité de fouiller un système informatique saisi, jusqu'à l'ouverture des applications, sans contrôle du juge d'instruction ou même du procureur du Roi.

Comme je vous le disais au début de mon intervention, ce texte, monsieur le ministre, doit présenter un certain équilibre. Malheureusement, cet équilibre n'est pas respecté puisque ledit texte instaure une ingérence disproportionnée dans la vie des citoyens sans prévoir les garanties indispensables pour prévenir d'éventuelles dérives.

Ces méthodes devraient être réservées à une criminalité dangereuse justifiant cette ingérence dans les droits fondamentaux des citoyens.

Nous sommes loin de la nécessaire efficience. De plus, on sait que ces dispositifs visent à utiliser des techniques très coûteuses pour l'État qui peine déjà, aujourd'hui, à honorer ses dettes.

Au-delà du fait que lesdites mesures sont ultra-attentatoires à la vie privée, le projet éreinte la figure du juge d'instruction en prévoyant un dangereux glissement de ses pouvoirs vers le parquet et la police. Les pouvoirs de cette dernière vont, d'ailleurs, être considérablement renforcés alors que le contrôle judiciaire sera affaibli. Il s'agit d'une tendance qui s'est dessinée avec le pot-pourri II qui élargit considérablement les pouvoirs du procureur du Roi. Or, – on le sait – le juge d'instruction est le garant des droits fondamentaux des citoyens. Contrairement au parquet, il est impartial et indépendant. Il n'est pas tenu par les directives de politique criminelle et il ne reçoit pas d'ordre d'un supérieur.

On n'oubliera pas non plus, monsieur le ministre, les amendements de dernière minute, déposés par le gouvernement, laissant le juge d'instruction hors jeu pendant un délai préfix de 72 heures en cas de flagrant délit d'infraction terroriste. Il s'agit d'une nouvelle attaque contre les compétences du juge d'instruction. Mais cela rejoint la philosophie globale de votre projet de loi.

Qu'on agisse en cas de flagrant délit, d'accord! Mais prévoir un délai invariable de 72 heures durant lequel les mesures attentatoires à la vie privée peuvent être ordonnées par le procureur du Roi est une mesure disproportionnée. Nous ne voyons pas la nécessité d'instaurer un délai alors que le procureur du Roi serait quand même habilité à agir tant que la situation de flagrant délit perdure.

Monsieur le ministre, nous ne pouvons pas tout accepter au nom de la lutte contre le terrorisme et jeter nos droits fondamentaux aux oubliettes. Ce détricotage des compétences du juge d'instruction n'est pas non plus sans conséquences pour les droits des parties, qui se retrouvent amoindris. L'information n'offre effectivement pas les mêmes droits aux victimes et aux personnes suspectées que l'instruction, notamment pas d'accès au dossier, pas de contrôle de la chambre des mises en accusation, pas de possibilité de demander l'accomplissement d'actes d'instruction complémentaires.

Ce grignotage nécessitera en outre davantage de contrôle de l'avocat sur le parquet et donc d'investissements de sa part durant l'enquête, ce qui aura immanquablement des conséquences financières pour le justiciable. Que sera-t-il réservé aux justiciables les plus pauvres, les moins nantis? C'est une fois de plus un frein à la justice, parce qu'on va demander plus d'actes posés par leurs avocats.

Il est également question du secret professionnel des avocats et des médecins, auquel on s'attaque en prévoyant que les données qui ont fait l'objet d'écoutes puissent à l'avenir être consultées par certaines catégories de personnes. Là encore, il s'agit d'une pure régression, qui ne manquera pas d'avoir des conséquences en matière de santé et de protection juridique, puisque s'attaquer au secret professionnel, c'est fragiliser l'indispensable lien de confiance entre le citoyen et les professionnels concernés.

On retiendra donc de ce projet de loi un détricotage des compétences du juge d'instruction, un ensemble de mesures attentatoires à la vie privée, sans contrôle judiciaire, sans garde-fou, ainsi qu'une atteinte au secret professionnel.

En conclusion, monsieur le ministre, c'est un projet de loi qui précarise nos libertés individuelles et qui constitue vraiment une régression flagrante pour notre État de droit.

Je vous remercie.


Christian Brotcorne LE

Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, je pense que tout le monde sera d'accord pour considérer que c'est une nécessité d'adapter le Code d'instruction criminelle à l'évolution technologique. Les terroristes ou autres malfrats n'ont pas besoin de lois pour adapter leur manière d'agir alors qu'évidemment notre monde policier ou judiciaire a, lui, besoin de cet encadrement bien utile et bien nécessaire de la loi.

Ce n'est pas pour autant, monsieur le ministre, qu'on peut faire tout et n'importe quoi. Si adapter la législation est utile, encore faut-il voir si les textes que vous nous proposez ne dépassent pas l'objectif et ne vont pas au-delà de ce qui est recherché.

Je pense que les textes que vous nous avez proposés dépassent l'objectif. Je pense qu'ils portent une atteinte nouvelle et qui est finalement disproportionnée - plusieurs acteurs l'ont dit - par rapport aux droits fondamentaux des personnes qui est une autre constante que nous devons avoir à l'esprit, lorsque nous légiférons par rapport à des techniques particulières de recherche, comme celles sur lesquelles nous travaillons.

Enfin, comme l'a dit ma collègue à l'instant, nous observons dans votre document, monsieur le ministre - cela devient de plus en plus récurrent -, un glissement qui est dangereux et qui, pour mon groupe et pour moi, est inacceptable. Il s'agit du glissement des pouvoirs du juge d'instruction vers ceux du procureur du Roi sans qu'on n'ait finalement une vue cohérente et globale de ce qui restera encore in fine, dans vos différentes réformes, du rôle de ce juge d'instruction.

À propos des critiques sur votre projet de loi, la première concerne le respect de la vie privée. La Commission de la protection de la vie privée elle-même énonce le principe selon lequel il faut trouver l'équilibre entre la vie privée, d'une part, et le droit de chaque citoyen à la sûreté, à la sécurité ou à l'intégrité physique, d'autre part. Ce qu'elle a dit, elle l'a dit au moment où votre texte initial avait été déposé. Elle pouvait considérer que peu ou prou, ce qui était en question était, le cas échéant, admissible, mais elle ne connaissait pas les amendements qui ont été déposés en cours de travaux par la majorité.

Je rappelle que, aux yeux de la Cour européenne et de sa jurisprudence, l'ingérence dans la vie privée doit être nécessairement proportionnelle dans une société démocratique. C'est un exercice difficile à réaliser mais il faut éviter les ingérences qualifiées d'arbitraires. La Cour européenne des droits de l'homme rappelle régulièrement que toute disposition nationale doit être suffisamment claire et précise pour indiquer à tous et de manière adéquate dans quelles circonstances elle habilite la puissance publique à recourir à des mesures de recherche secrètes.

C'est bien l'essentiel de votre texte que nous analysons ce soir: ce sont ces fameuses recherches secrètes qui seront plus faciles demain car sans autorisation d'un juge d'instruction, soit à l'encontre de l'avis de la Commission de la protection de la vie privée, soit en mettant à mal le secret professionnel.

Je commencerai par ce dernier point, monsieur le ministre. Dans votre projet de loi, se trouve la possibilité d'une recherche en secret dans le système informatique, appliquée aux avocats et aux médecins (cf. article 90 octies). Cet article est, selon moi, problématique car il prévoit que des données qui sont couvertes par le secret professionnel - lequel est la pierre angulaire de la relation de confiance et de notre droit qui doit exister entre des professionnels aussi particuliers que des médecins ou des avocats, par exemple, et leurs clients -, seront conservées aux greffes, certes séparément, et qu'il sera donc possible, par la suite d'appliquer l'article 90 septies, § 6, du Code d'instruction criminelle. C'est là une sérieuse atteinte au secret professionnel des avocats et des médecins qui ne trouvent dans votre texte et dans l'exposé des motifs aucune justification acceptable et raisonnable. Il me paraît que les communications couvertes par le secret professionnel ne peuvent ni ne doivent être consignées dans un procès verbal, ni a fortiori être conservées pour être, a posteriori, utilisées.

Autre élément que l'on trouve dans votre projet: ce glissement, que je qualifie de dangereux, des pouvoirs du juge d'instruction au profit du ministère public.

Le projet de loi que vous nous proposez n'est pas le premier. D'autres avant celui-ci, et d'autres encore à l'avenir, ont été et iront dans le même sens. La Ligue des droits de l'homme n'a, pas davantage que la Commission de la protection de la vie privée, eu connaissance des amendements qui ont été déposés au cours de la discussion en commission. Elle reconnaissait déjà, à l'occasion des auditions auxquelles nous avons procédé en commission, "que ce projet s'inscrit dans une tendance lourde qui opère un glissement de plus en plus net et abondant des prérogatives du juge d'instruction, acteur cardinal de notre procédure pénale puisqu'il est indépendant et impartial, et qu'il mène son instruction à charge et à décharge, au profit du parquet et des forces de police qui, elles, ne sont pas indépendantes, et dont la mission légale est fondamentalement différente puisqu'elle vise la recherche et la répression des infractions et de leurs auteurs. Ce glissement est très interpellant. Il interpelle également le Conseil d'État."

Oui, monsieur le ministre, au cours de nos travaux, vous avez répondu, et comme à l'habitude, vous avez dit qu'il était faux de dire que le juge d'instruction allait perdre ses compétences. On les réoriente, dites-vous, de manière à lui permettre de s'intéresser aux choses essentielles; même en matière de méthodes de recherche, il gardera certaines prérogatives pour autoriser ou superviser ces mesures.

Il faut lire ce projet de loi en parallèle avec la suppression ou plutôt avec la diminution drastique, que vous annoncez, de la fonction de juge d'instruction dans notre ordre judiciaire. Cette évolution de la fonction de juge d'instruction risque de faire voler en éclats le fragile édifice, certes complexe, qui vise à trouver un équilibre entre les différentes prérogatives des acteurs en présence, et cela afin de s'assurer du respect des droits fondamentaux du citoyen en général, et de celui du principe de proportionnalité, légitimant les ingérences dans ces droits.

Vous nous répétez à l'envie qu'on ne peut pas vous reprocher la suppression du juge d'instruction car le consentement de ce dernier restera toujours le même en cas de perquisitions, d'écoutes téléphoniques; que chaque mesure individuelle susceptible d'être prise devra être particulièrement motivée. Vous me permettrez d'en douter. Je ne vous suis pas dans cette manière de formuler les choses.

Les mesures décidées dans votre projet vont trop loin. Elles reviennent par exemple à effectuer des perquisitions – même si ça n'en porte pas le nom – sans mandat ni contrôle du magistrat instructeur. C'est ce qu'on appelle les recherches secrètes dans les systèmes informatiques. Le président des juges d'instruction a encore déclaré devant notre commission Attentats terroristes qu'ils seront constamment appelés à reprendre des décisions et qu'ils devront le faire sans avoir la maîtrise des dossiers puisqu'ils ne seront plus à l'initiative et au suivi des enquêtes.

En matière de mesures d'écoutes, de perquisitions, d'observation ou d'infiltration, le juge d'instruction doit rester celui qui les ordonne. C'est vrai que souvent les suspects changent sans arrêt de téléphone. Mais dans le modèle que vous proposez, le juge d'instruction, qui n'est plus à la base de l'enquête mais dont on sollicitera l'intervention chaque fois qu'elle sera nécessaire, devra s'arrêter de travailler sur ses dossiers, prendre un minimum connaissance de ce qui se passe et donner les autorisations requises. Il va finir par crouler sous des devoirs administratifs alors que votre volonté est précisément, dans la mesure du possible, de décharger tous les acteurs du monde judiciaire de ces tâches où ils perdent leur temps parce qu'ils ne donnent plus que des autorisations ou des visas qui sont de pure forme.

Or c'est ce que vous allez nous proposer avec votre nouveau système. En effet, on aura chaque fois besoin d'un juge d'instruction sans que celui-ci connaisse le fond du dossier. Je ne suis pas sûr qu'on gagne en efficacité, en temps et en argent. Distraire de la sorte le juge d'instruction aussi systématiquement n'engrangera aucun gain significatif.

Si les rôles respectifs du parquet et du juge d'instruction sont ainsi remis en question. Je souhaite que cette redistribution ait lieu dans le cadre d'une réforme globale sur laquelle nous pourrons nous prononcer une fois que nous aurons eu connaissance de tous les tenants et aboutissants; mais pas, comme vous en avez malheureusement pris l'habitude, monsieur le ministre, par empiètement partiel et progressif. Nous assistons en l'espèce à un véritable détricotage des compétences du juge d'instruction au profit du parquet sans plus aucun contrôle effectif. Ses fonctions sont grignotées insidieusement. Manifestement, c'est ce qui constitue la trame de votre action et de votre volonté politique. Avocats.be disait ainsi: "On constate que le juge d'instruction devient une espèce d'instrument d'une procédure pénale qu'il ne maîtrise plus". C'était l'analyse que nous formions au début des travaux en commission. Ceux-ci ont laissé apparaître que vous ne vous êtes pas satisfait de ces mesures initiales, mais que vous avez chargé la barque en cours de route. Des amendements ont été déposés par la majorité en vue d'accorder au parquet davantage de pouvoirs dans le cadre de méthodes particulières de recherche: 72 heures dans le cas d'un flagrant délit, sans intervention d'un juge d'instruction. Non seulement la période, mais aussi le champ d'application sont considérablement étendus.

Nous avons eu, fort heureusement, la possibilité d'envoyer ces amendements au Conseil d'État. Celui-ci a quand même confirmé que la recherche dans un système informatique constitue une ingérence sérieuse dans le droit au respect de la vie privée. Ce projet transfère, en ce domaine, d'importantes compétences du juge d'instruction au ministère public. Ces prérogatives occupent pourtant une place essentielle dans le contrôle de la proportionnalité que la Cour européenne des droits de l'homme et la Cour constitutionnelle effectuent en l'espèce.

En réponse à ces différentes remarques et observations, vous avez estimé, monsieur le ministre, qu'il n'était ni sain ni normal que nous intentions une sorte de procès au ministère public en considérant qu'il n'était pas indépendant ou, en tout cas, qu'il ne l'était pas autant qu'un juge d'instruction.

Bien entendu, le parquet est indépendant mais il n'a pas la même indépendance qu'un juge d'instruction qui instruit à charge et à décharge. Cela va finir par être une formule éculée mais il est pourtant bon de la répéter avant qu'elle ne disparaisse. Je pense que vous ne pouvez pas nier que le parquet est organisé de manière telle qu'il y a une hiérarchie et que le ministre de la Justice, in fine, a aussi une autorité sur le parquet, ne serait-ce que par le biais de l'injonction positive. Dès lors, autoriser le procureur du Roi à pouvoir ordonner, en cas de flagrant délit, toutes les mesures visées aux articles 88bis et 90ter du Code d'instruction criminelle sans confirmation d'un juge d'instruction, c'est dépasser les bornes d'une juste proportionnalité entre les dégâts et les actions de terrorisme que nous entendons combattre par rapport aux enjeux de respect des droits de la défense et/ou de la vie privée. Nous demandons simplement qu'au-delà du parquet, un contrôle soit organisé. Et qui mieux qu'un juge d'instruction peut-il être à même de le faire?

Avec l'amendement, on a aussi encore augmenté le pouvoir du procureur du Roi pour tenter de prévenir de nouveaux attentats. On peut admettre que cette mesure est raisonnablement justifiée mais la vraie question à se poser est de savoir si cette justification est pertinente pour chacune des infractions terroristes qui sont prévues à l'article 137, §2 et §3, du Code d'instruction criminelle, en particulier dans le cadre du §3 où la menace elle-même est considérée comme une infraction terroriste mais ne peut être assimilée purement et simplement à une attaque qui justifierait la mesure que le procureur du Roi peut prendre.

La majorité a également souhaité que le délai de 72 heures débute au moment de la commission de l'infraction, ce qui laisse à nouveau un large pouvoir d'appréciation et d'action au procureur du Roi sans que le juge d'instruction ne soit amené à intervenir.

Voici, monsieur le ministre, l'essentiel de ma critique.

Cependant, dans l'hypothèse où les critères que vous prévoyez pour les modalités d'action, notamment de la part du parquet ou des autorités de police, n'étaient pas respectés, aucune sanction de nullité ne vient frapper ces manquements. Cette critique a été relayée par les différents acteurs que nous avons entendus lors de nos travaux.

Vous avez balayé cette critique en décidant que l'opinion publique n'admet pas les nullités radicales – certes, je peux le comprendre – mais l'opinion publique ne comprend pas toujours l'ensemble des arcanes du droit qui protège la société et les citoyens et qui, à un certain moment, peut protéger celui qui considère qu'elles ne sont pas nécessaires ou utiles. Vous nous avez également dit que la jurisprudence Antigone est largement suffisante pour envisager des nullités si la nécessité se faisait sentir.

Je pense qu'il eut été essentiel de prévoir cette sanction de nullité légale dans l'hypothèse où les conditions indispensables aux recherches, que vous nous proposez par votre projet de loi dans le système informatique "recherches secrètes", n'étaient pas respectées. Ce fut d'ailleurs une remarque du représentant de l'OVB. Quant à l'État de droit, en l'absence de sanction de nullité, la police est libre d'agir sans respecter le prescrit légal.

Mon groupe ne souhaite pas être associé à une telle dérive. Dès lors, monsieur le ministre, nous ne vous soutiendrons certainement pas dans ce texte malgré la volonté initiale d'adapter la capacité d'intervention de nos forces de police et du monde judiciaire aux technologies nouvelles auxquelles sont mieux formés les milieux mafieux.

Si nous pouvons comprendre cet objectif, vous avez profité de ce projet de loi pour aller bien au-delà et envisager d'ouvrir des portes qui conduisent à des dérives qui mettent en péril notre État de droit et la proportionnalité entre le respect d'intérêts aussi fondamentaux que le respect de la vie privée et la protection de la sécurité et de l'intégrité publique ou physique.


Ministre Koen Geens

Monsieur le président, chers collègues, sur la critique générale d'un déplacement trop important de la compétence vers le parquet au détriment du juge d'instruction, je crois que le projet de loi ne contient qu'un seul élément transférant une partie de la compétence vers le parquet, à savoir la recherche non secrète dans un système informatique. Dans celle-ci, les déplacements ne concernent que l'extension au cloud ou à des serveurs externes. Ce n'est que l'extension possible sans fausse clé supplémentaire qui est visée.

À cela, il faut ajouter l'amendement déposé, qui concerne la situation très particulière d'un flagrant délit d'attaque terroriste. Nous avons proposé de créer, pour le parquet, une compétence temporaire d'ordonner une écoute téléphonique.

Ce sont deux changements importants que je ne veux pas minimiser. Mais je ne vois vraiment pas comment on peut parler d'un "mouvement général" dans le projet de loi de transfert des compétences et du contrôle vers le procureur du Roi au détriment du juge d'instruction.

Je sais, monsieur Brotcorne, que vous n'êtes pas favorable à une modification de l'équilibre complexe, datant du XIXᵉ siècle, entre le juge d'instruction, d'une part, et le parquet, d'autre part. Nous avons eu beaucoup de discussions à ce sujet. Soyons clairs: pour l'instant, il n'y a pas de texte sur la table à ce sujet.

Mais en tout état de cause, je veux vous indiquer que mon but est que le juge d'instruction, qui autoriserait certains moyens d'enquête spéciaux dans une enquête déterminée, serait toujours le même, de sorte qu'il puisse se familiariser avec le dossier, peut-être mieux que maintenant, parce qu'il disposera de plus de temps et de plus de distance pour juger de l'affaire. Je n'ai pas voulu utiliser le mot "indépendance". J'ai parlé de "distance".

Par rapport à d'autres critiques que vous avez formulées, monsieur Brotcorne et madame Özen, en ce qui concerne le système informatique saisi, qui pour l'enquête ou la recherche deviendrait une compétence autonome de la police, en l'espèce, il ne s'agit pas d'autre chose que d'une consolidation dans la loi de la jurisprudence de la Cour de cassation. Dans son arrêt du 11 février 2015, celle-ci estime que "l'exploitation de la mémoire d'un téléphone portable, dont les messages qui y sont stockés sous la forme de sms, est une mesure découlant de la saisie, laquelle peut être effectuée dans le cadre d'une information sans autres formalités que celles prévues pour cet acte d'enquête".

Est-il justifié de créer des possibilités additionnelles pour le parquet quant au droit de regard pour le procureur du Roi? Oui, dans la mesure où des objets fermés peuvent être ouverts. Une demande de perquisition peut en découler, mais en connaissance de cause, en ce qui concerne la personne suspecte. Si on ne trouve pas de matériel à charge, dans le cadre de l'exercice de ce droit de regard, on peut toujours utiliser des choses non trouvées comme des éléments à décharge par lesquels une perquisition devient superflue.

Pour ce qui concerne la prolongation du délai d'observation à trois mois, la pratique a permis de constater que le délai d'un mois est prolongé dans 65 % des cas par le juge d'instructions avec ce que cela implique de problèmes et de charges administratives. Le but serait d'établir un délai maximal de trois mois. Dans un premier temps, le juge d'instruction peut décider de prendre un délai plus bref et d'accorder un délai de seulement deux mois ou six semaines, par exemple.

J'aimerais terminer par un progrès scientifique qui pourrait nourrir notre réflexion dans le Code d'instruction criminelle définitif. J'ai récemment assisté à la défense d'une thèse, à Leuven, sur toutes les formules d'enquête. La doctorante a suggéré l'utilisation d'un terme générique d'enquête. Nous avons essayé d'aller un peu dans ce sens, mais nous avons eu peur de pécher contre le principe de légalité et avons insisté sur chaque type d'enquête concerné.

En termes de proportionnalité, sur laquelle vous insistez avec force, l'instance qui doit permettre l'enquête pourrait être mieux appréciée si l'enquête était définie de manière tout à fait générique et non plus par rapport à un objet. De plus, une définition générique nous permettrait de suivre plus facilement les évolutions technologiques. En effet, actuellement, à chaque fois que la technologie change, nous sommes obligés de modifier le Code d'instruction criminelle.

Quoi qu'il en soit, ce n'est qu'une idée que j'ai eue lors la lecture de la thèse doctorale défendue par Charlotte Conings. Je vous recommande d'ailleurs vivement la lecture de cette thèse, si vous avez un peu de patience et un peu de temps.


Özlem Özen PS | SP

Monsieur le ministre, je souhaite, une nouvelle fois, formuler une remarque que j'ai déjà eu l'occasion de vous adresser, à maintes reprises, lors de nos nombreuses réunions de commission.

Je ne suis pas d'accord avec vous quand vous dites qu'il n'y a qu'un seul élément de glissement du juge d'instruction vers le parquet ou la police.

Malgré vos pots-pourris successifs, il n'y a toujours qu'un seul élément de glissement. Si vous voulez changer la philosophie de notre appareil judiciaire, cela ne me pose pas de problème. Mais, dans ce cas, prenons le temps d'en discuter et de débattre en profondeur de la vision que l'on veut donner au juge d'instruction et du glissement que l'on veut et vers quel pouvoir. Il y a eu l'élargissement de la mini-instruction, etc. C'est la raison pour laquelle je parle de "grignotage". C'est la manière de procéder qui n'est pas saine du tout.


Christian Brotcorne LE

Monsieur le ministre, on a un peu le sentiment que vous n'osez pas assumer la situation que vous envisagez pour le juge d'instruction. C'est vrai que dans ce pot-pourri-ci il n'y a peut-être qu'un élément de glissement des pouvoirs ou des compétences du juge d'instruction vers le parquet mais il y en a eu dans vos précédents pots-pourris. Ce que l'on vous reproche, monsieur le ministre, c'est effectivement, par touches successives, de grignoter ce pouvoir du juge d'instruction sans que l'on ait une vue d'ensemble.

Vous nous dites et vous venez encore de le répéter qu'il n'existe aucun texte qui dit que le juge d'instruction va disparaître. On a déjà entendu vos experts par rapport au Code pénal et au Code d'instruction criminelle qui envisagent la création du juge de l'instruction plutôt que du juge d'instruction. Donc, quelque part, il y a une volonté politique. Il y a un fil conducteur.

Le reproche que nous vous adressons régulièrement en commission, c'est de savoir pourquoi on ne traite pas ce problème-là une fois dans sa globalité pour savoir vers quoi on va. Peut-être qu'on se dira, au terme de nos travaux, que l'option envisagée peut être suivie mais aujourd'hui, on ne l'affronte pas. On y va par touches successives sans savoir exactement – et vous nous le répétez à l'envi – si oui ou non, au final, on va bouger la figure du juge d'instruction.

Si le juge d'instruction reste ce qu'il est aujourd'hui mais qu'on lui retire toute une série de compétences à l'occasion de textes successifs, que va-t-il en rester? Si vous souhaitez aller vers le juge de l'instruction voire même vers la disparition totale de la figure du juge d'instruction, ce que vous nous proposez ici n'aura peut-être plus de sens dans un an ou deux, si vous allez au terme de vos projets de réformes. Il faudra revoir l'ensemble des législations. Trop souvent, par rapport à vos propositions de modification sur lesquelles on pourrait vous suivre, on n'a pas cette vue d'ensemble pour pouvoir en discuter de manière correcte et cohérente.