Proposition de loi modifiant la loi du 15 décembre 1980 sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers en vue d'y insérer des critères clairs, justes et précis de régularisation pour les personnes en situation de séjour irrégulier sur le territoire du Royaume et instituant une Commission indépendante de régularisation.
General information ¶
- Authors
- DéFI François De Smet, Sophie Rohonyi
- Submission date
- July 3, 2020
- Official page
- Visit
- Status
- Rejected
- Requirement
- Simple
- Subjects
- right of asylum child migrant migration residence permit refugee rights of aliens
Voting ¶
- Voted to adopt
- Groen CD&V Vooruit Ecolo PS | SP Open Vld N-VA LDD MR VB
- Voted to reject
- LE DéFI PVDA | PTB
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Discussion ¶
June 23, 2021 | Plenary session (Chamber of representatives)
Full source
François De Smet DéFI ⚠
Madame la présidente, je tiens à m'exprimer aujourd'hui devant cette assemblée afin de mettre chacun d'entre nous devant les responsabilités qui sont les siennes. Nous le savons tous! À l'heure actuelle, plus de 150 000 personnes vivent dans notre pays sans titre de séjour, parfois depuis de très longues années. Ce sont des hommes, des femmes, des enfants qui, pour des raisons diverses et à l'issue de chemins différents, se sont retrouvés en Belgique et y résident depuis parfois cinq, dix, quinze ans, voire plus.
Nous les croisons dans la rue, dans les transports en commun, au centre commercial, au travail. Leurs enfants fréquentent les nôtres à l'école, au club de sport, à la piscine. Ils sont parfois voisins, collègues, connaissances, amis et parfois plus que cela. Ils ont des rêves et des objectifs. Ils veulent s'intégrer ou le sont même parfois depuis longtemps.
Ils veulent travailler, ramener à la maison de quoi nourrir leur famille, avoir des loisirs, prendre des vacances, s'investir dans leur communauté. Les personnes en situation de séjour irrégulier sont comme vous et moi, à ceci près qu'elles n'existent tout simplement pas aux yeux de l'État. Ce sont, en d'autres termes, des fantômes qui ne peuvent bénéficier de presque aucune protection sociale et sont à la merci de toute personne mal intentionnée qui n'aurait aucun scrupule à tirer avantage de leur situation.
Je pense notamment à la situation de Iman, une jeune marocaine maintenant régularisée qui est arrivée seule en Belgique, en 2008. En décembre dernier, Iman dénonçait les pratiques de certains employeurs véreux en témoignant du salaire de misère qu'on lui octroyait lorsqu'elle a commencé à travailler dans des entreprises de sous-traitance dans notre pays. Pouvons-nous accepter que quiconque en Belgique en 2021 travaille pour cinq euros de l'heure? Je ne le pense, non! C'est le cas d'Iman et de plusieurs de ses connaissances. C'est la réalité de nombreuses personnes sans papiers qui doivent chaque jour choisir entre l'exploitation ou la rue.
Ce manque de protection se traduit aussi par une grande vulnérabilité des personnes sans papiers vis-à-vis de toutes sortes de violences qui portent atteinte à leur intégrité physique ou morale notamment la traite, le trafic d'êtres humains, le viol, les violences familiales, le racisme et la discrimination. En raison de leur situation de séjour, les sans-papiers craignent de porter plainte, d'être arrêtés et puis expulsés.
Ce n'est pas tout puisque les difficultés liées à l'absence de titre de séjour sont visibles au quotidien. On se souvient très bien du témoignage choc, relayé par la presse, de cet enfant de huit ans, sans papiers, né à Bruxelles qui mettait en lumière les conditions de vie difficiles dans lesquelles lui et sa famille vivent sans aucune perspective de changement. "Notre maison est trop serrée" disait-il. "Il n'y a qu'une chambre. La plus grande, c'est le salon. Alors nous dormons dans le salon, nous jouons dans le salon, nous regardons la télévision dans le salon, nous mangeons dans le salon. Je sais bien qu'il y a des enfants qui n'aiment pas ce confinement, mais moi, à chaque période de vacances, c'est chaque année que je vis ce confinement."
Alors chers collègues, lorsque j'entends les arguments évoqués par certains pour évoquer ce statu quo dans lequel nous sommes, je me demande où sont passées nos valeurs si chères à nos démocraties occidentales pour lesquelles régulièrement nous nous battons collectivement. L'été dernier, lorsque nous avons déposé cette proposition de loi, nous souhaitions ouvrir le débat de manière sereine et constructive, même si nous n'étions pas encore psychologiquement préparés à l'époque à ce que certains de nos collègues, fervents défenseurs de cette cause, se retrouvent dans l'intervalle pieds et poings liés par un accord de gouvernement finalement bien peu progressiste sur ce sujet. L'idée était d'introduire des critères clairs et objectifs dans la loi pour la régularisation des sans-papiers afin de limiter le pouvoir discrétionnaire du gouvernement et d'accroître la transparence. Rien de bien saugrenu en fait, puisque, je le rappelle, la France a fait la même chose par le biais de la circulaire Valls en 2012.
Nous sommes partis du constat que la sécurité juridique, principe essentiel protégeant les personnes contre les incohérences et les changements fréquents de la loi, ne pouvait être garantie pour les personnes sans papiers, d'une part, en raison des vagues de régularisation (1999 et 2009) qui ont engendré une discrimination temporelle pour les personnes ayant introduit des demandes de régularisation avant et après ces vagues et, d'autre part, en raison de la pratique quelque peu incohérente et peu transparente de l'Office des étrangers dans l'octroi de permis de séjour ayant pour conséquence que des personnes semblant se trouver dans des situations similaires sont traitées de manière différente.
Cette insécurité donne lieu à une situation où les sans-papiers ne peuvent savoir à l'avance s'ils peuvent ne serait-ce que prétendre à un permis de séjour. Cela a plusieurs conséquences.
Premièrement, cela suscite beaucoup d'anxiété dans le chef des sans-papiers qui placent en la régularisation de nombreux espoirs qui peuvent s'avérer vains.
Deuxièmement, l'insécurité juridique permet à l'Office des étrangers d'agir sans véritable contrôle. Il dispose d'une large marge d'appréciation définie par le gouvernement et ne motive pas ses décisions, ce qui lui permet de se cacher derrière l'opacité de la procédure.
Troisièmement, le manque de clarté dans les critères de régularisation rend l'examen des demandes plus difficile pour l'Office des étrangers lui-même, ce qui allonge significativement la durée de traitement des dossiers. Il faut rappeler que les délais réels pour le traitement de tels dossiers sont de trois à quatre ans.
C'est donc précisément parce que la régularisation est étroitement liée à la dignité humaine que le renforcement de la sécurité juridique se justifie. Et c'est la raison pour laquelle nous avons proposé des critères de régularisation spécifiques qui seraient appliqués par une commission indépendante. Tout cela pour rendre la procédure de régularisation plus respectueuse de la dignité de ces femmes, hommes et enfants qui vivent en marge de la société.
D'emblée, lorsqu'on a présenté le texte, certains collègues l'ont tout de suite rejeté le qualifiant de mauvaise proposition de loi. Nous savons bien qui ils sont. D'autres, en revanche, se sont déclarés favorables à maintes reprises, dans la presse ou au Parlement, au principe d'insérer dans la loi des critères de régularisation, justement pour renforcer la sécurité juridique. Et c'est à eux que je m'adresse principalement aujourd'hui, chers collègues.
Je regrette que notre proposition ait été rejetée et expédiée, finalement assez rapidement, sans avoir pu faire l'objet d'un débat approfondi. Il est vrai qu'il y a plusieurs moyens pour résoudre la problématique des sans-papiers mais notre proposition avait, au moins, le mérite d'en proposer un qui nous paraît rationnel et juste.
Malgré les nombreux avis écrits positifs que nous avons reçus de la part d'avocats.be, de la Ligue des droits humains, du CIRÉ, de Samenlevingsopbouw et du cabinet du ministre Clerfayt, j'entends malheureusement qu'on se retranche derrière le nouveau Code de l'asile et de la migration qui est en cours d'élaboration par le cabinet de Sammy Mahdi. C'est ce qu'ont relevé en tout cas mes collègues notamment socialistes et écologistes en commission. Or, je me demande sincèrement comment nous pourrions faire confiance en la matière à un secrétaire d'État qui tente subtilement de réintégrer les visites domiciliaires dans notre ordre juridique. C'est une question vraiment ouverte.
Je souhaiterais souligner par ailleurs que notre proposition s'inscrit dans une réflexion de longue durée, que nous nourrissons depuis de longs mois avec la société civile, la Région bruxelloise, les syndicats et les sans-papiers eux-mêmes dans le but d'élaborer des propositions constructives.
Le 21 mai dernier, le secrétaire d'État a réitéré son ouverture à des concertations avec les différents cabinets régionaux. Une concertation avec la ministre Morreale et le ministre Clerfayt, qui ont tous deux également exprimé une telle volonté, pourrait déboucher sur des propositions concrètes, et surtout humaines, qui n'ont pas encore été considérées, et notamment sur une réforme de la procédure du permis unique. De manière générale, il nous paraît aussi essentiel de travailler avec les principaux concernés et la société civile.
J'en appelle donc au gouvernement Vivaldi pour mettre en place un large dialogue, voire même une Conférence interministérielle, avec toutes les parties concernées, afin de trouver de réelles solutions pour enfin mettre un terme à ce statut de fantôme et de non-droit. Il y a urgence, chers collègues. Je pense que personne n'ignore aujourd'hui les effets dévastateurs que la pandémie a pu avoir sur les personnes sans papiers.
Il n'est d'ailleurs pas surprenant de voir que cette dernière année a été si fortement marquée par de nombreux appels et mobilisations de sans-papiers, d'associations et de citoyens. On peut citer les manifestations du 28 août et du 27 septembre 2020, du 26 mars, du 2 mai, du 23 mai, du 17 juin et du 20 juin 2021, les diverses occupations depuis plus de 100 jours dans les universités bruxelloises et dans l'église du Béguinage, toutes les cartes blanches parues dans la presse, les appels des universités bruxelloises, l'occupation du siège du PS, l'occupation, hier encore, de l'Office des étrangers, etc.
Toutes ces initiatives montrent que nos citoyens sont inquiets et consternés par la misère en bas de chez eux. "We are Belgium too", c'est un mouvement qui dénonce l'immobilisme en Belgique, notre immobilisme, et dont les revendications ne tiennent qu'en quelques mots: aux yeux des Belges, les sans-papiers sont aussi la Belgique.
Plus de 27 500 de nos concitoyens ont signé une pétition. Certains se trouvaient dans cette salle, à la tribune tout à l'heure. Des représentants de la CSC, de la FGTB, du MOC et du CIRÉ, qui étaient dans la tribune de ce Parlement, avec un message d'espoir pour tous les sans-papiers, qui n'ont aucune perspective d'avenir. Je regrette qu'on leur ait demandé de quitter les lieux, mais je veux leur dire que nous sommes ici avec eux.
Pour l'instant, le secrétaire d'État reste strict et ne procédera à aucune régularisation, on l'a bien compris. Mais posons-nous vraiment les bonnes questions? Des personnes, pourtant saines d'esprit, sont en train de mettre volontairement leur santé en danger. N'est-ce pas finalement un signe de la gravité de leur situation?
Pourquoi n'entendons-nous pas leur cri de désespoir? Pourquoi n'entendons-nous pas leur souffrance? Faut-il attendre, comme en 1999 et en 2009, un drame, pour que le gouvernement soit forcé de procéder à une énième régularisation collective?
Ce n'est pas ce que nous voulons et ce n'est pas ce pourquoi nous plaidons. Nous plaidons pour une régularisation contrôlée et individuelle. Mais encore faut-il trouver le courage de prendre les mesures qui s'imposent.
Dernièrement, plusieurs de nos collègues se sont rendus dans des manifestations en soutien aux sans-papiers. Je pense, en particulier, à certains collègues socialistes et écologistes. C'est une très bonne chose, mais ce n'est clairement pas suffisant quand vous êtes vous-même au pouvoir.
Je souhaite formuler mon second appel à l'attention de ceux qui, dans la majorité, croient au bien-fondé de cette cause et qui peut-être même philosophiquement se trouvent en accord avec notre texte. Je souhaiterais leur poser une question simple. Qu'attend-on pour agir, même au sein du gouvernement Vivaldi? Pourquoi ne pas poser cette problématique au cœur du kern? Pourquoi ne pas s'engager tout de suite dans un dialogue constructif avec vos partenaires? On sait bien que des divergences existent. On sait bien qu'un accord de gouvernement existe. Mais cela ne veut pas dire qu'il n'est rien possible de faire à côté.
Peut-être s'agit-il uniquement de notre proposition, mais j'ai été choqué de constater que, durant l'examen de celle-ci en commission, il ne nous a pas été possible de procéder à des auditions des collectifs des sans-papiers afin d'entendre leur voix. Il s'agit pourtant d'un processus qui s'était révélé concluant lorsque l'on a examiné le statut des artistes. Grâce à ces auditions, le point de vue de nombreux collègues ainsi que le mien ont changé parce que nous avons entendu quelle était la réalité des artistes auditionnés. Comme cela a été le cas pour les artistes, il faudra tôt ou tard que nous, parlementaires, recevions les collectifs des sans-papiers et que nous nous rendions compte de ce que vivent ces personnes.
Quoi qu'il en soit, une question demeure. Qu'allons-nous faire avec les familles qui vivent chez nous depuis dix ans? Va-t-on tous les renvoyer dans leur pays d'origine ou les laisser encore et toujours vivre en marge de la société sans aucun droit? Va-t-on, par exemple, expulser Mimi, cette jeune femme congolaise sans papiers que je connais bien, qui vit chez nous depuis onze ans et qui lutte contre la drépanocytose en animant le collectif qui attire l'attention sur les dégâts causés par cette maladie? Est-ce bien réaliste au regard du fait qu'elle pourrait succomber, comme son petit frère, à cette maladie en raison du manque de prise en charge et de moyens médicaux au Congo? Va-t-on réellement la mettre dans un avion pour Kinshasa alors qu'elle a fait trois AVC en trois ans?
Le secrétaire d'État esquive sans cesse le sujet en évoquant la longueur des procédures pour statuer sur les demandes de régularisation. Réduire les délais résoudrait pourtant tout simplement le problème. Il me semble que ces situations appellent souvent malheureusement beaucoup plus de réflexion.
Enfin, le dernier appel que je souhaite à nouveau lancer au gouvernement est le message fort qu'il est capable d'envoyer à la population: le respect des droits humains, partout et toujours, que cela concerne celles et ceux qui disposent d'un bout de papier et celles et ceux qui n'en disposent pas. Ne tolérons pas ici ce que nous condamnons à grand bruit ailleurs!
Chers collègues progressistes de la majorité, lorsque malgré vos convictions, pour certains d'entre vous, vous voterez en faveur du rejet de cette proposition de loi qui aurait amené un peu plus de justice dans la régularisation des hommes, femmes et enfants qui sont les invisibles de notre société, posez-vous la question: le sacrifice des sans-papiers sur l'autel de la formation d'un gouvernement ne vous paraît-il pas aujourd'hui un prix un peu trop lourd? Je vous remercie.